Mémoire: Benjamin Stora qualifie de “paresseux” les personnes qui critiquent son rapport
L’historien Benjamin Stora revient sur les critiques suscitées par la publication de son rapport sur la mémoire, récemment remis au président français, Emmanuel Macron.
Dans une interview accordée au site Huffingtonpost, il regrette les critiques et la tendance à « aller directement aux disputes idéologiques sans réfléchir au socle de savoir sur lequel le rapport est bâti. » « Mais c’est aussi dans l’air du temps, on cherche le choc des émotions plutôt que la réflexion », assène-t-il.
Et d’ajouter : « Quand le rapport est sorti, on ne discutait pas du contenu de l’inventaire, mais des intentions qu’il y aurait derrière. En parallèle, il y a eu également un rejet idéologique du rapport de la part de ceux qui rejouent à l’infini la scène des postures. D’un côté, on me dit que le rapport ne dénonce pas assez les crimes commis par la France. Et de l’autre, que je passe sous silence les “bienfaits” de la colonisation française en Algérie. »
Selon Benjamin Stora, « c’est la répétition d’une scène traditionnelle de la part de gens qui ont fabriqué une rente mémorielle, permettant de se forger une identité politique. » « D’un côté comme de l’autre, ce sont des postures paresseuses qui ne cherchent pas à comprendre », a-t-il lancé.
A une question sur le peu de succès des films produits sur la guerre d’Algérie, l’historien a affirmé que celle-ci « n’était pas classique. » « C’est un thème que j’explore dans Imaginaires de guerre (La Découverte, 2004, NDLR). Déjà, la guerre d’Algérie n’est pas une guerre classique. Il n’y a pas de ligne de front avec les Français d’un côté et les Algériens de l’autre. C’est une guerre complexe, qui s’étend sur une longue période, avec de multiples acteurs, politiques et militaires, et au cours de laquelle des Algériens se tuent aussi entre eux. C’est une guerre de guérilla qui est très difficile à montrer à l’écran », a-t-il soutenu, rappelant « qu’il y a aussi eu beaucoup de censure après 1962. »
« Quand des films sur l’Algérie ont commencé à sortir (notamment des documentaires), ils sont tombés au moment où la société faisait silence », a-t-il indiqué.
A la question de savoir pourquoi « la mémoire de la guerre d’Algérie reste un sujet brûlant », l’historien a mis en avant « l’absence de consensus après la fin de la guerre, à l’inverse de ce qu’on a observé en 1945, où le général De Gaulle a réussi avec sa magie du verbe à reconstruire une histoire axée sur le mythe de la France résistante. » « (…) Il y a donc eu un enfouissement de la mémoire, qui a laissé la place à une multitude d’interprétations contradictoires », a-t-il soutenu.
Boualem Rabah